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Disorder in Discipline-



Friday 13 March 2009

Louise Brooks, Loulou à Hollywood (mémoires), 1974-1982
























Jolie fille, livre mince – nous n'aurons de pitié pour aucun préjugé facile…
Louise Brooks écrivait. Et bien entendu ça ne pouvait être que faible, puisqu’elle était belle. D'une beauté vénéneuse, actrice mais encore, scandale ambulant mais encore, moderne et américaine, fille du jazz et de l'Hollywood Babylone, corps libre et esprit moqueur, elle embrasa toutes les années 20, choquant jusqu'au Berlin des années de décadence qui s'effraya de Loulou et la traita en putain... On ne vit qu'une fois.
En 1974, trois décennies et demie après avoir quitté le cinéma, consciente d’y avoir échoué comme de n'y avoir jamais trouvé sa place, elle délivra à Sight & Sound et Film Culture (équivalents anglo-saxons des Cahiers du cinéma, rien que ça) une suite d’articles cassants qui aujourd'hui font, bon grès mal grès, autobiographie. Ces «Mémoires» sont ce qu’on peut trouver de plus lucide, de plus méchant (mais sans l’amertume minable de ceux qui écrivent pour régler leur compte), de plus métallique sur le statut de star dans l’empire hollywoodien naissant.
Ecriture impitoyable (sur la folie Hollywood quand elle vous broie) - et affolante, aussi : chaque article livrant sa description minutieuse de dix années de parties dans des piscines de vrai marbre, où le champagnes coulait à flots sur des robes se décolletant enfin, la lost generation éperdue à coups de fêtes embouties les unes après les autres. Tout ça raconté par celle qui en était le centre d’attraction sensoriel, mais qui pouvait revendiquer au milieu de l’orgie le droit à la solitude. Ne serait-ce que pour aller dévorer des livres : «Je suis l’idiote la plus érudite du monde ».
Pas facile d'être une Fitzgerald au féminin, et elle s'était en conséquence trouvée pour seule amie intime Pipi Lederer, la plus grande lesbienne d’Hollywood - en 1925, aux connards que cette amitié catastrophait, Louise B. répondait que rien là ne faisait problème, qu'elle voyait chez Pipi "une forme d'amour totalement naturelle".
Mais le pire, c’est que la meilleure actrice du muet écrivait comme un punk tout en se payant le luxe d’avoir les goûts les plus sur en matière de cinéma - l’article qu’elle consacra à Humphrey Bogart, cet homme qui manqua plusieurs fois d’être son amant, est un sommet d’intelligence critique, un exemple d’analyse de jeu. Toute résistance, s'il y en avait encore, tombe quand, en dernier éclat iconoclaste, elle y désigne le sous estimé In a lonely place (le Violent, de Nicholas Ray) comme meilleur rôle que Bogart ait jamais interprété – ce choix résolument snob, elle le partage avec le Colonel Gatitox, et avec moi aussi.

Que cette fille ne soit plus en vie pour écrire dans Discipline in Disorder et faire après la fête avec nous (si vous saviez comment elle dansait…) est une des grandes injustices de notre époque pourrie.


(La preuve par trois….)

«Quand j’ai quitté Hollywood pour toujours en 1940, je pensais que m’en éloigner me guérirait automatiquement de cette maladie pestilentielle plaisamment surnommée là-bas l’ »Hollywoodite ». Je me suis d’abord retirée à Wichita, chez mon père, mais j’ai découvert sur place que mes concitoyens ne savaient vraiment pas s’ils me méprisaient d’avoir réussi, après m‘être sauvé, ou bien de revenir parmi eux après mon échec. Trois ans plus tard, je me suis installée à New York où je m’aperçus que la seule carrière rémunératrice à laquelle pouvait prétendre une actrice ratée de trente-six ans était celle de la galanterie. Alors j’ai fait une croix sur mon passée, refusé de voir les quelques amis de cinéma qui me restaient et me suis mise à flirter avec des mirages engendrés par des petits flacons de somnifères jaunes.»

"J’affirme catégoriquement qu’à l’époque de Bogart rien ne ressemblait plus à l’esclavage qu’une carrière de star de cinéma. Il ne décidait seul que sur un point : signer ou non un contrat. Dans l’affirmative, il devenait la proie des cosignataires et des distributeurs de films. S’il ne signait pas, il n’était plus une star.»

«Berlin – capitale tout entière en proie à la sexualité – avait rejeté le réalisme de Loulou. Pourtant en 1929, à l’hôtel Eden où j’étais descendu, le café-bar fourmillait de grues de haut vol. Les filles moins huppées racolaient sur le trottoir. Au carrefour, on trouvait des tapineuses en bottes à lacets – enseigne discrète de leur spécialité : la flagellation. Des impresarios s’entremettaient également auprès des cocottes en appartement du quartier de Bavière. Les pronostiqueurs de courses hippiques de Hoppegarten organisaient des partouzes pour les sportmen. A l’Eldorado, une boîte de nuit, les travestis pullulaient. Au Maly, c’étaient des lesbiennes à faux col et cravate.»

Louise Brooks, Loulou à Hollywood, éditions Tallendier, 20O8

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